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Consultation publique et programmation participative, quelles méthodologies adopter ?

Les idées sur roulettes par Platoniq et Subtopia pour Idea Camp

Organiser une journée de consultation publique ou de partage d’idées pour 50, 100 ou 200 personnes ? Un jeu d’enfant ! De plus en plus de musées et institutions se lancent dans l’exercice périlleux mais louable de la consultation publique ou de la programmation participative — autrement dit, concevoir la programmation culturelle (voire parfois le projet culturel lui-même), en collaboration avec les publics.

En temps normal, une facilitatrice en Design Thinking ou démarches participatives pourrait difficilement accompagner un groupe de plus 15-20 personnes (un facilitateur non plus, mais je fais le choix d’utiliser le féminin par défaut !).

Alors comment animer des ateliers et rencontres pour 50 personnes ou plus, tout en conservant une certaine fluidité et autonomie des participants ?

En préparant une mission à venir, j’ai rencontré les méthodologies développées par Platoniq et Subtopia pour les Idea Camp de la Fondation Européenne pour la Culture. Je vous propose une série de deux articles sur ces méthodologies et comment les adopter au sein de votre institution.

Idea Camp, Platoniq et Subtopia : place aux agents du changement  

Idea Camp est un événement collaboratif sur trois jours, de type “incubateur”, pendant lesquels des citoyens de pays européens échangent et développent des idées pour changer l’Europe à travers la culture. Le premier Idea Camp a eu lieu en 2014 à Marseille, et la dernière édition en date s’est déroulée à Madrid en 2017.

Ce grand « marché noir d’idées » est organisé par la Fondation Européenne pour la Culture en partenariat avec six organisations culturelles européennes dont Les Têtes de l’Art (France), Subtopia (Suède), et Platoniq (Espagne). Cette dernière est une association d’innovateurs sociaux (ou civicmakers) utilisant des méthodes agiles et le Design Thinking pour « faciliter un engagement démocratique avec le patrimoine culturel » et encourager la participation citoyenne dans les domaines de l’éducation, de l’économie et du social. Subtopia est un centre d’art, de culture et d’engagement social situé dans la banlieue de Stockholm. La méthodologie des deux derniers Idea Camp a été pensée par Platoniq et Subtopia, avec la participation des Têtes de l’Art.

Cette méthodologie reprend des outils-phares du Design Thinking tout en les adaptant afin de les faire correspondre aux besoins et spécificités du champ culturel. Au delà de servir les porteurs de projets culturels, ces outils peuvent être des supports très utiles pour tous les musées et centres culturels souhaitant s’embarquer dans un événement ou une réflexion participative. On décortique ça ensemble.

Les idées sur roulettes

Lors du Idea Camp 2015 dont le thème était « Build the City » (« Construire la Ville » en Français) la cinquantaine de participants présents partageaient et commentaient leurs idées sur de grands panneaux trois-faces à roulettes. Chaque jour, les participants remplissent une nouvelle face pour détailler leur projet et circulent librement dans l’espace pour commenter ceux des autres. Les trois jours sont ponctués de travail en groupe, conférences et ateliers.

Photo de Julio Albarrán

Première face : scénario d’idée et profils utilisateurs

Sur cette première face, les participants donnent leurs informations de contact ainsi qu’un résumé de leur idée. Ensuite, ils détaillent le scénario de leur idée dans un tableau :

  Et si, en tant que… …je pouvais Afin de …
Original      
Suggestions      

La première ligne « originale » est réservée à l’Idea Maker (la créatrice de l’Idée), alors que la seconde permet aux autres participants d’apporter de nouvelles pistes.

Photo de Julio Albarrán

La seconde partie de cette première face est une « Constellation d’Utilisateurs », dans laquelle l’Idea Maker détaille des persona concernées par son idée : leurs noms/rôles, ce qu’elles aiment ou n’aiment pas, leur expérience/milieu/origine, et enfin les technologies qu’elles utilisent.

Cette première face permet donc une amorce d’identification de la problématique et des utilisateurs finaux.

Deuxième face : valeur civique ajoutée et défis

Sur la deuxième face, l’Idea Maker détaille les « valeurs civiques » de son idée en mentionnant dans une première colonne les problématiques auxquelles son idée tente de répondre puis pour chacune de ces problématiques : les solutions proposées, les qualités de son idée et les défis à relever.

Dans la seconde partie du canvas, les autres participants peuvent, à l’aide de post-it, aider l’Idea Maker à formuler ce dont cette idée a besoin. L’Idea Maker pourra en fin de session recueillir et analyser les pistes pour développer son idée.

Photo de Julio Albarrán

Dans la photo ci-dessus, on remarque que grâce à une idée proposée par un.e participant.e (post-it rose en bas à gauche) l’Idea Maker a trouvé une réponse à un groupe de défis identifié dans le premier exercice.

Troisième face : impact et critique positive

Dans la dernière face de son panneau, l’Idea Maker explore l’impact possible de son idée sur les utilisateurs et l’écosystème lié à sa problématique. Puis elle reçoit des retours d’autres participants grâce à des bulles contenant des amorces favorisant la critique constructive.

« Je pense que cette idée est géniale parce que… »

« Je connais quelque chose de similaire, jette un œil à : »

« Je rejoindrais ce projet si … »

« Je pense que cela peut être amélioré en … »

« Je connais quelqu’un qui aimerait cette idée, contacte : »

Photo de Julio Albarrán

Points positifs de la méthode

L’utilisation de l’espace et la circulation des participants

Les panneaux à roulettes permettent d’utiliser l’espace sous des formes variées et de proposer de nouveaux rythmes tout au long des trois jours de travail. On sort de la logique « assise » qui, même quand on est organisé en petits groupes, peut paraître répétitive et limiter la créativité et les échanges spontanés.

« L’espace n’est pas neutre, » explique Sam Khebizi (Les Têtes de l’Art) dans une publication retraçant trois ans d’Idea Camp. « L’espace a un grand impact sur la manière dont nous apprenons, connectons, travaillons. Il fallait nous assurer que l’espace qu’on offrait aux participants leur donnait l’opportunité de se connecter de nombreuses manières différentes — en seul à seul, en ateliers, dans des grands groupes et à travers des visites. »

Simplicité et personnalisation du canvas

Le canvas nécessite peu voire pas d’explications. Les participants peuvent le remplir en toute autonomie et le personnaliser via des dessins et des collages. Les canvas favorisent autant l’expression visuelle que textuelle. La dimension visuelle du support permet d’ailleurs aux participants d’interagir directement, et convient aux extravertis comme aux introvertis.

Informations de contact et suivi

Cela peut paraître un détail, mais lorsqu’on organise un événement participatif avec des individus venant d’institutions/quartiers/pays différents, les plus grandes frustrations sont souvent liées au fait de ne pas avoir pu garder contact avec les personnes rencontrées.

Une autre très bonne pratique qui devrait être automatique chez les organisateurs : le suivi. Si vous demandez à des personnes de participer à une réflexion (et c’est valable pour une réflexion menée en interne avec vos propres collaborateurs), il faut les tenir au courant de l’impact de leur participation : comment et où ont été présentées leurs idées ; quels sont les changements opérés depuis/grâce à leur participation.

Organisez des points d’étapes après la consultation et des moments de convivialité pour les remercier de leur engagement. Sans cela, ces personnes seront réticentes à de nouvelles consultations dans le futur car elles auront le sentiment que la consultation n’est qu’une façade et que leurs contributions ne sont pas réellement prises en compte.

Photo de Julio Albarrán

Constellation d’utilisateurs

La constellation d’utilisateurs, présentée dans le premier canvas, invite l’Idea Maker à considérer l’utilisateur final — le public — dès le départ. Cela peut paraître anodin mais nous avons tendance, en tant que professionnels de la culture, à créer des programmes et des actions sur la base de nos compétences et de nos ressources plutôt que pour répondre à un besoin, une curiosité ou une pratique des publics.

L’approche utilisateur peut être davantage détaillée avec des cartes d’empathie pour chaque typologie d’utilisateurs/publics, des recherches de terrain et des interviews ; lorsqu’on dispose de plus de trois jours évidemment !

Impact

Dans la méthodologie proposée par Platoniq, la notion d’impact apparaît dès l’étape 1, dans la colonne « …in order to » (afin de) du tableau Scénario d’Idées.

C’est essentiel de questionner, dès les prémices d’un projet, quel va être son impact. Cela évite entre autres de se lancer dans des escape games ou des applications numériques parce que « c’est à la mode et puis tout le monde le fait ».
Dans le 3ème canvas, une section entière est dédiée à la question de l’impact, non seulement sur les usagers/publics visés, mais également sur l’ensemble de l’écosystème concerné.

Critique constructive

Les amorces de feedback proposées dans le 3ème canvas ne sont pas seulement polies, elles sont aussi redoutables d’efficacité. En atelier, j’ai un set de bonnes pratiques parmi lesquelles se trouve : « pas de critique sans alternative ni solution ». Cette maxime n’est pas de moi (et je ne connais malheureusement pas son auteur.e) ; elle est fort utile pour éviter les débats stériles, les peurs et les freins peu productifs quand on est dans une logique de co-création.  Un autre outil de critique positive que j’ai découvert chez Ideo est le « I Like…I Wish ». Celui-ci encourage les personnes à formuler les phrases comme suit : « J’aime le fait que nous ayons commencé à l’heure chaque matin, j’aurais souhaité que nous ayons 30 minutes dans l’après-midi pour nous dégourdir les jambes. »

Points moins positifs de la méthode

L’utilisation de l’espace et la circulation des participants

Le format n’est pas vraiment accessible pour les personnes à mobilité réduite (les panneaux sont trop grands et certaines cases beaucoup trop hautes). On peut cependant imaginer assez facilement comment l’adapter pour qu’il corresponde à des personnes se déplaçant en fauteuil.

Mis à part l’accessibilité du support, je n’ai pas relevé de point négatif sur cette méthode proposée par Platoniq pour un événement de ce type : trois jours d’échanges pour une cinquantaine de personnes. Mais peut-être aurez-vous des remarques (constructives) ?


Les canvas de cet Idea Camp sont disponibles en CC-By-SA, c’est à dire que nous sommes autorisés à les partager et les adapter comme on le souhaite à condition de créditer les auteurs (Platoniq et Subtopia) et de partager nos propres adaptations sous les mêmes conditions.

Merci à Lore Gablier pour sa réactivité et pour avoir partagé avec moi les liens vers ces divers documents.

Le Canvas
Le E-Book

Dans le second article de cette série j’éplucherai pour vous une autre méthodologie développée par Platoniq et Subtopia dans le cadre du Idea Camp 2017 avec quelques conseils sur comment les adapter. Je partagerai également des ressources similaires, par exemple, un business canvas dédié aux industries culturelles et créatives.

Si vous avez besoin de conseils ou d’accompagnement personnalisés sur l’organisation ou l’animation d’une consultation publique, ou d’une programmation participative, vous pouvez faire appel à mes services.

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