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Co-créer un projet d’action culturelle

Méthodologie pas à pas pour une réflexion collaborative

[Cet article fait suite à un premier billet présentant les méthodologies participatives développées par Platoniq et Subtopia pour les Idea Camp, une initiative soutenue par la Fondation Européenne pour la Culture.]

Introduction(s)

Dans le précédent article, nous avions exploré les méthodologies du Idea Camp 2015 visant à organiser un événement participatif pour une cinquantaine de personnes (ou plus). Si votre objectif est davantage de favoriser la co-création en interne — par exemple, si vous souhaitez impliquer vos collègues dans la création d’une action culturelle ambitieuse, créative et pertinente pour vos publics — l’article d’aujourd’hui est fait pour vous !

La méthodologie présentée dans cet article, on la doit encore à Platoniq et Subtopia. Proposée aux participants du Idea Camp 2017 (« Moving Communities ») sous la forme d’un Roadbook (Livre de Bord), cette méthodologie en 6 étapes a été conçue pour aider les porteurs de projets à étoffer, tester et améliorer leurs idées.

Elle s’adapte très facilement aux besoins d’une équipe d’un musée qui souhaiterait travailler de manière collaborative et créative à la conception d’une nouvelle offre : médiation, programmation, événement, partenariat, ou autre.

Un point rapide sur le format

Lors du Idea Camp 2017, tous les canvas (support visuels) présentés dans cet article étaient imprimés en très grand format et posés au sol. Ils étaient complétés par des affichages numériques installés dans l’espace. Le Roadbook comprenant l’ensemble de ces canvas, était distribué sous une forme papier et numérique, permettant aux collègues des participants de pouvoir suivre, réagir et commenter leurs notes à distance.

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Photo credits : Les Têtes de l’Art

Olivier Schulbaum (Platoniq) explique ce changement de format et l’abandon du Ideas on Wheels proposé en 2015 qu’il qualifie comme un « excès de design ». Avec ce nouveau format de canvas au sol complétés par le Roadbook, Schulbaum et ses comparses du Connected Action for the Commons souhaitaient « tuer le post-it et la frontalité » et favoriser des échanges horizontaux et le jeu de rôle.  

Pourquoi utiliser des canvas pour réfléchir ensemble ?

Les canvas sont des outils de réflexion collective et de pensée visuelle. Lorsqu’on embarque dans un travail collaboratif, on réunit des personnes avec des parcours et des modes de pensée différents, même s’ils et elles font partie de la même institution ! Utiliser des canvas et autres outils de pensée visuelle présente de multiples avantages : cela favorise la créativité des participants, assure une compréhension mutuelle parfois dure à atteindre lorsqu’on se contente des mots, et encourage également le passage à l’action. Pour en savoir plus sur ce sujet, je vous recommande vivement l’article de Nicolas Beudon sur la pensée visuelle.


La méthodologie « Moving Communities » pas à pas

La méthodologie du Idea Camp 2017 dont le thème était « Moving Communities » se décline donc en six étapes que les participants complétaient en trois jours. Trois jours c’est, à mon sens, le minimum pour ce type d’exercices. En dessous, on obtient des résultats superficiels, une créativité moindre et peu de motivation pour un passage à l’action. Trois jours ça peut paraître énorme, surtout lorsqu’il s’agit de faire coïncider les emplois du temps de tous vos collègues, mais parfois il faut savoir prendre le temps pour pouvoir en gagner.

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Image extraite de The Moving Communities Methodology – CC-By-SA Platoniq & Subtopia

Étape 1 : la carte d’empathie

La carte d’empathie c’est pour moi l’outil-clé lorsqu’on souhaite créer des offres pertinentes et mémorables pour notre public. Le but de cet exercice : se mettre à la place du public/usager/bénéficiaire de la future action culturelle. Il existe de nombreuses variations de la carte d’empathie ; voici comment Platoniq+Subtopia l’ont présentée.

On place la bénéficiaire au centre et on se projette sur ce qu’elle :

  • Pense et ressent (ses préoccupations, inquiétudes, aspirations)
  • Voit (environnement, amis)
  • Dit et fait (son attitude en public ; son comportement face aux autres)
  • On liste trois bonnes raisons qu’elle aurait d’échanger ou coopérer avec nous, et vice-versa.
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Image extraite de The Moving Communities Methodology – CC-By-SA Platoniq & Subtopia

À savoir :

La carte d’empathie peut être adaptée en fonction des projets. En général quand je l’utilise en atelier, j’identifie cinq sections : faire, voir, entendre, dire, ressentir ; auxquelles j’ajoute les freins à la participation pour le public et à l’inverse ce qui peut faciliter son engagement.

En fonction de vos objectifs, vous pouvez modifier ou ajouter des sections ; par exemple, remplacer « Dire » par « Partager ». Vous pouvez également utiliser la carte pour viser un idéal : « qu’est ce que j’aimerais que le public ressente/dise/etc. » et vous baser sur vos réponses pour façonner et évaluer votre médiation/événement. Le must : faire remplir la carte d’empathie directement par les futurs bénéficiaires !

Exemple de carte d’empathie utilisée dans un atelier Artizest. Photo credits: ©Artizest

Pourquoi c’est utile :

Comme je l’écrivais dans l’article précédent, nous avons tendance, en tant que professionnels de la culture, à créer des programmes et des actions sur la base de nos compétences et de nos ressources plutôt que pour répondre à un besoin, une curiosité ou une pratique des publics. En prenant le public comme point de départ, la carte d’empathie permet d’éviter ce travers. L’avantage quand on fait remplir la carte d’empathie directement par le public concerné, c’est également de se débarrasser des a priori erronés.


Étape 2 : la toile d’araignée

Le Spider Gram (jeu de mot entre spiderweb et diagram) développé par Platoniq+Subtopia vous permet d’identifier et clarifier les acteurs (individus ou organisations) en lien avec votre projet d’action culturelle.

La toile est divisée en 6 parts :

  • Les communautés avec lesquelles vous travaillez
  • Vos pairs et les initiatives similaires
  • Les réseaux de communauté
  • Les partenaires institutionnels
  • Les partenaires médias
  • Les sources de financement
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Image extraite de The Moving Communities Methodology – CC-By-SA Platoniq & Subtopia

Dans chaque part, on retrouve trois niveaux (représentés par les cercles concentriques),  vous permettant d’organiser vos idées en fonction de vos relations avec ces individus/organisations selon qu’ils sont : des connexions déjà existantes à faciles à atteindre à difficiles à atteindre

Pourquoi c’est utile :

La toile d’araignée permet de prioriser qui contacter et offre une vision beaucoup plus claire (et partagée !) de l’écosystème d’acteurs vous entourant. Une simple liste de noms, même organisée dans un beau tableau Excel n’offrirait pas cette clarté de lecture à votre équipe.

De plus, l’avantage de travailler collectivement sur cette toile c’est d’être inspiré.es par les ajouts de vos collègues, nous menant vers des idées et connexions qu’un autre format n’aurait pas provoquées.


Étape 3 : Stratégie d’engagement des parties prenantes

Cet exercice ressemblant aux marelles de notre enfance permet de dérouler une stratégie d’engagement des parties prenantes : comment les contacter, quel message leur transmettre, comment les convaincre de s’impliquer sur le long terme.

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Image extraite de The Moving Communities Methodology – CC-By-SA Platoniq & Subtopia

La base de la marelle : le challenge social
Quel est le challenge que vous tentez de relevez avec votre projet d’action culturelle ? Quelle différence peut faire votre projet ?

Le deuxième niveau : votre équipe et les experts
Quelles sont les compétences spécifiques de mon équipe ?
À quels experts ai-je besoin de m’adresser ?

La quatrième partie, « Valeurs partagées » représentant le haut de la marelle est la plus complexe :
– Commencez par identifier les valeurs que vous avez en commun avec les parties prenantes travaillant sur la même thématique que vous.
– Brainstormez les parties prenantes possibles, pensez aux : partenaires média, sources de financements, partenaires institutionnels, communautés avec lesquelles vous travaillez, vos pairs ou des individus et organisations portant des initiatives similaires.

Puis posez-vous les questions suivantes :

  • Pour chacun des acteurs identifiés : quelle est la première action à réaliser pour qu’il s’implique dans votre projet ?
  • Comment interagir avec chacun d’eux pour assurer un engagement à long terme ?

À savoir :

Souvenez-vous du Golden Circle : les gens n’adhèrent pas à ce que vous faites mais à pourquoi vous le faites. Voilà pourquoi il est essentiel d’identifier clairement les valeurs de votre projet d’action culturelle et de les utiliser comme base de votre communication.  

Dans la partie « experts », pensez aussi aux « experts de l’expérience vécue » (« experts of lived experience ») qui ne sont pas des académiques ou ingénieur.es mais des personnes ayant vécu dans leur chair (et au quotidien) le problème auquel vous vous attaquez. Cette réflexion est particulièrement importante à mener si votre projet d’action culturelle s’adresse à un public sous-représenté voire discriminé.

Pourquoi c’est utile :

En partant des valeurs du projet et des forces de l’équipe on a plus de chances de trouver des parties prenantes pertinentes, originales et complémentaires. De plus, bien séparer chaque partenaire potentiel permet de développer une stratégie spécifique — et donc plus qualitative — pour chacun d’eux.


Étape 4 : Imaginer son idée comme une plateforme

Attention ça se complique ! Cette nouvelle toile d’araignée permet de remixer le Business Model traditionnel sous une forme plus adaptée aux projets culturels dans lesquels les relations sont entre bénéficiaires, partenaires, acteurs et porteurs de projet ont tendance à être plus complexes.

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Image extraite de The Moving Communities Methodology – CC-By-SA Platoniq & Subtopia

Dans les quatre coins on retrouve les parties prenantes : partenaires, bénéficiaires, pairs, et vous/votre équipe.

Pour chacune de ces parties prenantes, il faut brainstormer sur ce qu’elles apportent (input) et ce qu’elles obtiennent du projet (output). Pour plus de granularité, on peut noter au centre les caractéristiques/actions de votre future action culturelle, et pour chacune de ces actions/caractéristiques, les inputs et outputs des parties prenantes.

Cette toile permet également de réfléchir à la structuration de l’équipe et aux dynamiques qui l’animent. Elle pose la question du fonctionnement de l’organisation ; en d’autres termes l’articulation entre équipe, partenaires, bénéficiaires et pairs.

À savoir :

Le Business Model traditionnel est très limitant pour les institutions culturelles. En effet, ces dernières ont souvent des modes de gouvernance et/ou financements complexes, et appartiennent généralement à des écosystèmes où partenaires et bénéficiaires se mélangent parfois. Pour cette raison, de nombreuses organisations ont tenté de produire des Business Models adapté au champ culturel. On peut notamment citer le Creative Project Canvas proposé par Break in The Desk, ou le Business Model Canvas développé par l’IETM pour les organisations culturelles et artistiques.


Étape 5 : Vision

Vous vous souvenez de cet article au sujet du Visionning ? Et bien c’est ici le même principe, avec une notion d’impact ajoutée.

Au centre on écrit ce à quoi ressemblera notre projet dans 1, 3, 5 ou 10 ans. Ensuite on brainstorme les potentiels impacts de notre projet sur : l’environnement, le champ social, le plan territorial, les questions culturelles.

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Image extraite de The Moving Communities Methodology – CC-By-SA Platoniq & Subtopia

Pour favoriser le passage à l’action, le canvas inclut trois actions audacieuses (bold steps) à identifier. Ces trois actions doivent vous permettre de réaliser votre vision.

À la manière d’autres exercices tels que le Speedboat, Platoniq + Subtopia invitent ici les porteurs de projets à réfléchir aux soutiens (supports) dont ils disposent pour les aider à atteindre leurs visions, et à l’inverse, les challenges qui pourraient les ralentir ou les en empêcher.

À savoir :

Ce canvas sera d’autant plus efficace si vous avez réalisé un exercice de Vision au préalable.

Pourquoi c’est utile :

Cet exercice favorise le passage à l’action et la priorisation des étapes. Il vous permet également d’anticiper certains obstacles qui pourraient ralentir votre projet, et d’identifier — puis optimiser — les « soutiens » à sa réalisation.


Étape 6 : La Une

La dernière étape de la méthodologie propose aux participants de se projeter dans un futur où leur initiative ferait la une d’un magazine.

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Image extraite de The Moving Communities Methodology – CC-By-SA Platoniq & Subtopia

La couverture
Dans quel type de revue, journal ou magazine souhaiteriez-vous voir votre initiative mentionnée ?
Qui en sont les lecteurs principaux ? Qu’ont-ils besoin de savoir et quels sont les messages qu’on souhaite leur faire passer ?

Le gros titre
Quel est le futur idéal de votre projet ?
Mais également, si vous deviez réduire le « pourquoi » et l’impact de votre projet d’action culturelle à quelques mots (un gros titre), quel serait le résultat ?

Citations
Que disent les témoins/participants/partenaires/observateurs de votre initiative ? Que Tweetent-ils ?
Cette étape est un bon moyen de refaire le lien avec la carte d’empathie et vérifier que vous n’avez pas dérivé. L’impact final sur le public/utilisateur est-il celui qu’on espérait au départ ?

L’Interview
Qui est interviewé ? En d’autres termes, qui raconte l’histoire de votre initiative ? Quel est le problème, le thème ou le désir le plus pressant ? Quels ont été les obstacles et comment les avez vous relevés ?

La conclusion / le mot de la fin
Dans quelle section apparaitrait votre article ? A quoi pourrait-il se résumer ? Selon l’article, qu’avez-vous accompli ?

Pourquoi c’est utile :

Un projet peut-être extrêmement mature en tout point, mais sans un bon storytelling, il y a malheureusement peu de chances qu’il aboutisse. Il est essentiel de réfléchir à comment vous allez communiquer autour de votre projet d’action culturelle, afin de vous assurer que les bénéficiaires potentiels captent votre message.

De plus, ce type d’exercice vous oblige à identifier et extraire l’essence de votre initiative et à vous focaliser sur l’impact plutôt que sur les actions et/ou le concept !

Photo credits : César Lucas Abreu

Mettre en œuvre cette réflexion avec votre équipe

Comme je l’évoquais en introduction, trois jours ne seront pas de trop pour faire ce travail de A à Z. Lors des Idea Camp, des moments de “digestion” étaient prévus, permettant non seulement aux participants de réorganiser leurs idées au propre dans leur Roadbook, mais aussi d’évaluer en chaque fin de journée si le projet avait évolué, s’il s’était nourri des autres intervenants.

Platoniq et Subtopia avaient rassemblé une équipe de « responsables experts » dont le rôle était de donner un feedback méthodologique aux participants sur leur Roadbook. Etaient également présents : des facilitateurs pour les discussions autour des canvas géants ; des « feeders » pour alimenter les conversations de leurs expériences ; et des « data takers » en charge de récolter et partager les données concernant l’avancement des projets.

Pour une mise-en-œuvre au sein de votre équipe, on peut se contenter d’une facilitatrice professionnelle, d’un.e « data-taker » et d’expert.es de l’expérience vécue. Si votre budget ne vous permet pas de faire appel à une facilitatrice, ou si vous souhaitez vous lancer seul.es dans l’aventure, emparez-vous de la méthodologie présentée aujourd’hui, désignez au sein de votre équipe un.e « Data Taker » ainsi qu’ une facilitatrice (à qui vous pourrez conseiller ce mini-guide au sujet de la posture « facilitateur »). Enfin, n’oubliez pas de consulter vos futurs bénéficiaires, et ce dès les premières étapes !

Rappel :

Les canvas de cet Idea Camp sont disponibles en CC-By-SA, c’est à dire que nous sommes autorisés à le partager et l’adapter comme on le souhaite à condition de créditer les auteurs (Platoniq et Subtopia) et de partager nos propres adaptations sous les mêmes conditions.

Merci à Olivier Schulbaum (Platoniq) d’avoir pris le temps d’échanger avec moi au sujet de la méthodologie « Moving Communities ».

Ressources évoquées dans l’article :

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