Exemple de newsletter

(Ex)Pression à Froid

La permission d’apprendre


Nous sommes ce que nous ingurgitons au quotidien. C’est vrai aussi pour nos nourritures intellectuelles. Nos établissements sont ce que l’ensemble de leurs agents absorbent jour après jour. Pourtant force est de constater que faute de moyens et de ressources, les professionnels des musées ont rarement l’opportunité de se nourrir de nouvelles expériences, lectures et apprentissages sur leur temps de travail.

Personnellement, c’est le jour où je tentais de convaincre mon supérieur de me laisser assister à une conférence sur l’accessibilité dans les musées que j’ai pris la décision de démissionner. À cet instant là, j’ai compris que tant que je serais salariée — du moins, dans ces conditions — il me faudrait demander la permission d’apprendre.

Dans les institutions où l’autoformation n’est pas incluse dans le temps de travail, seuls les employé•es les plus passionné•es — ou les moins occupé•es une fois rentré•es à la maison — pourront se plonger dans un livre de Nina Simon, une conférence de Johnetta Betsh Cole ou un webinar d’IDEO.

Le sujet de formation sur lequel je suis le plus souvent sollicitée est la créativité. On me demande d’apprendre aux équipes à « augmenter leur créativité », afin qu’elles produisent des médiations innovantes, des programmes originaux, des stratégies d’établissement inédites. On peut passer 1 à 3 journées dans une effervescence créative et créatrice, mais pour que celles-ci perdurent au sein d’une institution il faut leur accorder du temps, régulièrement. Si on sait que la créativité naît de l’ennui et de l’observation. La solution est simple — mais pas facile, je le concède — donner la « permission » aux agents de s’ennuyer et d’observer ; de se nourrir de contenus créatifs et précurseurs afin qu’ils produisent à leur tour à l’image de ce qu’ils ingurgitent.

Toutes les personnes que j’admire dans le secteur des Arts et de la Culture, qu’elles soient médiatrices, artistes, à la tête d’un établissement ou d’une petite équipe, ont une chose en commun : un moment sacré dans leur calendrier, dédié entièrement à l’apprentissage. Janeen Bryant — une des fondatrices du groupe Empathetic Museum — que j’interviewais cette semaine pour un futur podcast me confiait qu’elle dédiait 2h non-négociables à son autoformation chaque vendredi matin. Elle profite de ce moment pour lire les articles ou livres qu’elle a mis de côté, regarder les vidéos qu’elle a épinglées, réécouter ou relire des informations qui l’ont un jour impactée. Parfois elle ne fait rien, elle se laisse glisser dans l’ennui et prend note des pensées venant à elle.

Depuis le 17 mars, j’accorde un point d’honneur à ne pas parler de vous-savez-quoi dans cette newsletter car je suis moi-même immédiatement épuisée dès que je j’en aperçois la mention dans le sujet ou le corps d’un email. Voici cependant 2 leçons que j’ai retenues de cette période :

• Travailler de longues heures chaque jour n’est pas synonyme de travailler dur, bien ou efficacement. C’est juste travailler longtemps.

• L’apprentissage (les lectures, les vidéos, les podcasts) fait partie intégrante de mes heures de travail.

Si la situation actuelle vous motive à tenter de nouvelles choses pour vous et/ou vos équipes, pourquoi ne pas sacraliser un moment de votre semaine voire de votre journée, un moment intouchable, non-négociable, pour apprendre, s’ennuyer, observer ? Je ne sais plus d’où vient l’expression « le temps n’est pas quelque chose qu’on a, c’est quelque chose qu’on prend » mais je me la répète souvent. Je sais que beaucoup affirmeront qu’il leur est impossible de « sacrifier » ne serait-ce qu’une ou deux heures de leur temps de travail hebdomadaire. Pourtant je constate que, peu importe les imprévus — rarement réglés en 2h — auxquels sont régulièrement confrontées les équipes de musées, à la fin de la semaine le travail est toujours fait.

Cette logique selon laquelle il faudrait être productif/actif pendant tout le temps passé sur son lieu de travail est une confusion entre « présence » et « efficacité ». Elle appartient au monde de l’entreprise et plus particulièrement de l’industrie ; un monde dans lequel on ne paye que les heures effectives passées sur la chaîne de montage. Dans le secteur culturel, votre travail est justement d’imaginer d’autres chaînes de montage. Il nous appartient de changer nos conceptions réflexes au sujet de la productivité. L’apprentissage et l’observation ne sont pas synonymes d’inactivité.

Prenez le temps pour vous nourrir, je suis certaine que votre efficacité et celle de vos collègues n’en pâtira pas, bien au contraire.

Quel.le est le livre, l’article, la vidéo, le podcast, la conférence, le webinar dont vous avez le plus appris ces derniers mois ? Faites m’en part et je diffuserai une liste de vos coups de cœur dans la prochaine newsletter pour que chacun en profite.

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